mardi 17 mai 2016

Congrès Boréal et prévente annuelle


Le temps file trop rapidement, ce printemps... Il me semble que je n'ai pas vu passer mars et avril. Et déjà s'amène, du 20 au 22 mai, l'édition 2016 de l'incontournable congrès Boréal. Cette fois, intéressante initiative, l'événement aura lieu à rien de moins que Mont-Laurier. J'y serai, de même qu'une partie de l'équipe de Brins d'éternité. Pour les curieux, les invités et la programmation se trouvent à cet endroit : http://2016.congresboreal.ca/

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À propos d'initiative fructueuse, les Six brumes récidivent avec leur campagne de sociofinancement annuelle. Cette année, je dois avouer que j'ai une affection particulière pour l'un des ouvrages, le collectif Les Murmurantes, dont j'assure la coordination. Le livre, à paraître dans la collection "Frontières" (qui met à l'honneur différentes régions du Québec), rassemble six auteurs originaires de la Mauricie : Raphaëlle B. Adam, Michel Châteauneuf, Mathieu Croisetière, Frédérick Durand, François Martin et moi-même. Chacun des écrivains a écrit pour l'occasion une novella fantastique, qui prend pour cadre l'une des localités de la région, plus spécifiquement Saint-Adelphe, Trois-Rivières, Sainte-Ursule, Saint-Tite, La Tuque et Clova. Le tout illustré par Joanie Gélinas.

Les deux autres livres de la prévente relèvent aussi du fantastique ! Il s'agit de Ce qui reste de démons, du talentueux Daniel Sernine (qui avait publié précédemment chez le même éditeur Petits démons) et d'Entre deux mondes de Laetitia Chicoine, lauréate du concours "Sors de ta bulle", qui nous propose un roman fort réussi qui met de l'avant l'atmosphère énigmatique des Iles-de-la-Madeleine. Sans oublier la République du Centaure, webzine orchestré par Alain Ducharme qui entame sa seconde (et prometteuse !) année.

En espérant avoir piqué votre curiosité, la campagne de sociofinancement est accessible à cet endroit... et elle va bon train !


vendredi 6 mai 2016

Lectures : L'arracheur de rêves


Pierre-Luc Lafrance, L’arracheur de rêves, Six brumes, 2015, 257 p.

Troisième titre de la collection « Brumes de légende », L’arracheur de rêves vient de paraître sous une charmante illustration aux teintes sépia d’Émilie Léger (artiste visuelle que les lecteurs de Brins d’éternité auront sans doute reconnue, puisque ses œuvres figuraient en couverture des numéros 36 et 40 de la revue, de même que sur celle de l’anthologie Dix ans d’éternité). Ce recueil de Pierre-Luc Lafrance s’inscrit donc dans la collection de l’éditeur sherbrookois qui compte à ce jour quatre titres : Petits démons de Daniel Sernine, Au rendez-vous des courtisans glacés de Frédérick Durand et l’anthologie ci-haut mentionnée. Vous aurez compris que l’une des visées principales de « Brumes de légende » est de permettre aux lecteurs d’accéder à des œuvres devenues introuvables, à l’instar de L’arracheur de rêves, l’un des deux derniers livres (l’autre était La nuit soupire quand elle s’arrête de Frédérick Durand) parus en 2008 dans le quasi secret avant la liquidation de La Veuve noire éditrice. Il s’agit d’une initiative honorable, pour ne pas dire essentielle, de la part des Six brumes, qui accordent ainsi à certains écrits une seconde vie plus que légitime, tout en les agrémentant de divers paratextes (préfaces, notes, et dans le cas présent, une novella inédite, « Dans ses pas »).

Comme Pierre-Luc Lafrance l’explique dans son introduction, la majeure partie de l’ouvrage (c’est-à-dire le recueil L’arracheur de rêves, sans la novella en prime) est demeurée dans l’ensemble inchangée. Bien que ce choix préserve la saveur initiale du texte en évitant de le « dénaturer », il a pour inconvénient de conserver la section la plus faible de l’œuvre : le récit intercalaire. Je me souviens que, lors de ma première lecture en 2008, je m’étais fait la réflexion que les « entre-textes » étaient un peu artificiels, qu’ils donnaient l’impression d’être des pièces rapportées. Oui, le personnage de Marc-Antoine est attachant, de même que les locataires des appartements attenants, mais les onze parties intitulées L’arracheur de rêves, qui s’insèrent entre les nouvelles, me paraissaient avoir été ajoutées à la demande de l’éditrice (je pense d’ailleurs que c’était le cas). L’occasion était donc belle de rééditer le recueil sans ce maillon faible à la finale peu convaincante. À mon sens, les dix véritables histoires auraient gagné à être bonifiées par trois ou quatre autres textes autonomes supplémentaires, voire par deux novellas. Surtout que Pierre-Luc Lafrance possède un talent certain pour instaurer des atmosphères fantastiques à saveur québécoise (l’intégration de la ville de Québec dans ses récits, notamment, est ingénieuse), ainsi que pour installer progressivement un sentiment d’horreur et d’étrangeté chez ses protagonistes.

Vous aurez compris que presque toutes les dix « véritables » nouvelles du recueil valent le détour, de même que l’ambitieuse novella « Dans ses pas » (j’y reviendrai). Dans ces textes, Pierre-Luc Lafrance recourt habilement au réalisme sordide teinté de fantastique (« Le voyageur »), à l’humour (« La dernière enquête »), à la romance (« Cœur perdu à Québec »), à l’érotisme (« Chambre 308 »), à la mythologie (« Le masque de Méduse »), etc. Presque toutes ces tonalités s’amalgament en un ensemble homogène, pourvu de jolis titres, notamment « Le rêve est une éternité perdue », l’un des seuls récits, avec « Maman », qui ne participe pas avec force à la cohérence du livre. Mais Pierre-Luc Lafrance a une façon de traiter le fantastique personnelle et traditionnelle qui vaut la peine d’être découverte, et que résume bien cette phrase tirée de la nouvelle « Berlin rêvé » : « Puisqu’il ne pouvait aller à Berlin, la capitale allemande viendrait à lui » (p. 78). L’omniprésence de l’érotisme et de la primauté des sens est également l’une des qualités de L’arracheur de rêves, cet aspect trouvant son plein déploiement, ainsi que le gore, dans la novella « Dans ses pas ».

Ce texte ambitieux de pratiquement cent pages (c’est-à-dire cinquante de moins que l’ensemble du recueil de nouvelles) témoigne de l’évolution manifeste de l’auteur entre 2008 et 2015. Et le résultat est réjouissant : nous suivons Olivier, jeune homme a priori banal, qui découvre, en traversant un boisé de sa ville adoptive, qu’il est capable de lire et de ressentir les pensées des gens en marchant dans leurs empreintes. Mais la végétation environnante s’éveille peu à peu à une force particulièrement malveillante, née du désir de vengeance d’un ancien élève malmené par ses pairs. Avec son ampleur, « Dans ses pas » parvient à instaurer un climat mémorable, de même que des images horrifiantes et saisissantes, à quelques exceptions près, l’auteur en disant parfois trop au lieu de faire confiance au lecteur, par exemple : « Ça crie, ça pleure, mais personne n’ose prendre la fuite. Ils sont tétanisés par la peur » (p. 232). Je souligne également la présence du rêve/sommeil dans cette novella, qui contribue à l’arrimer au recueil initial.

Bref, L’arracheur de rêves de Pierre-Luc Lafrance vous convie à un bon moment en territoires de cauchemars. Par contre, vous devrez faire l’impasse sur les erreurs de montage/relecture d’épreuves de la quatrième de couverture et de l’ouvrage (usage de différents types de tirets, italiques ou lettres manquantes, point ou espace entre les mots oubliés, alinéas mal placés, repères bibliographiques non homogènes... coquilles pourtant absentes des autres parutions des Six brumes qui nous inclinent à penser que la lecture des épreuves a été effectuée rapidement). Car cette réédition bonifiée est sans contredit une publication à célébrer pour les amateurs de textes fantastiques à saveur onirique qui auraient envie de s’arracher un temps à un réel parfois pesant!

- Cette critique est parue précédemment dans le numéro 43 de Brins d'éternité.