dimanche 27 décembre 2015

Intermède : aux abords de la 161 Nord


Quelques clichés pris à l'improviste en bordure de la 161 Nord (près de Nantes) :







Bonne année 2016 !

samedi 19 décembre 2015

Le Voyage insolite (émission du 14 décembre)


Crimes à la bibliothèque (collectif), sous la direction de Richard Migneault, Druide, 2015, 377 p.


Un peu plus d’un an après Crimes à la librairie (qui a connu, justement, un beau succès en librairies) vient de paraître Crimes à la bibliothèque. Comme son prédécesseur, le collectif est toujours sous la direction de Richard Migneault, grand lecteur, blogueur, mais surtout passionné de polars québécois. Avec ce deuxième ouvrage, qui regroupe 17 nouvelles, le directeur de publication propose un survol des plus intéressants des auteurs de littérature policière québécoise (surtout si nous ajoutons aux 17 écrivains de Crimes à la bibliothèque les 16 qui figurent au sommaire de Crimes à la librairie). Il faut saluer l’audace des éditions Druide de publier un collectif à une époque où les recueils de nouvelles connaissent souvent un succès commercial incertain. Mais les deux Crimes... viennent démentir cette affirmation, entre autres pour la simple et bonne raison que les deux livres (très beaux, d’ailleurs, la présentation visuelle du second étant à mon avis la plus attrayante) sont d’une qualité indiscutable. Au programme, 17 nouvelles des auteurs suivants : François Barcelo, David Bélanger, Roxanne Bouchard, Laurent Chabin, Sylvie-Catherine de Vailly, Hervé Gagnon, Anna Raymonde Gazaille, Maxime Houde, Michel Jobin, Jacqueline Landry, Jean Lemieux, François Lévesque, André Marois, Maureen Martineau, Maryse Rouy, Francine Ruel et Martin Winckler.

Comme d’habitude, voici quelques coups de cœur, dans l’ordre d’apparition du recueil. François Lévesque ouvre de manière très forte Crimes à la bibliothèque avec « Combustion lente », une histoire d’intimidation dans laquelle les adolescents sont plus grands que nature. Un texte saisissant et touchant, qui commence fort bien le collectif et qui montre le talent de l’auteur à dépeindre la psychologie de ses jeunes protagonistes.

Dans « Page soixante-deux », Maureen Martineau nous offre le récit de vengeance familiale tout en nuances. Il prend pour cadre le lancement de la biographie d’une vieille dame plus ou moins recommandable. Un récit qu’on lit en retenant son souffle !

« Fin de partie », de Jean Lemieux nous propose une autre enquête de Surprenant, l’inspecteur fétiche de l’écrivain, que ses fidèles lecteurs, comme moi, prendront plaisir à retrouver à la Grande bibliothèque de Montréal. Coup de cœur aussi pour « La littérature est un plat qui se mange froid » de Laurent Chabin, qui, avec un humour acide, nous présente la vengeance savamment murie d’une femme meurtrie par le passé... et qui profite d’un lancement à la bibliothèque de Stanstead pour régler ses comptes.

Roxanne Bouchard, dans « Rififi à la bibli », propose certainement le texte le plus ludique du collectif. Comme d’habitude sous la plume de l’auteure, l’humour sonne juste, et l’ensemble de la nouvelle est vivant et fluide.

Finalement, André Marois, auteur talentueux de nombreux romans noirs, signe « Le truc avec les Turcs », une fiction de tueurs à gages à la fois cynique et cruelle. Le tout, comme toujours chez l’écrivain, avec une ambiance bien rendue.

Vous aurez compris que Crimes à la bibliothèque, en plus de vous donner des suggestions de méfaits à commettre entre les rayonnages de votre bibliothèque favorite, est un recueil indispensable pour les fervents de polars. Un ouvrage qui vous amènera certainement à faire de belles découvertes ! À quand Crimes au Salon du livre


Benoît Bouthillette, L’heure sans ombre, Druide, 2015, 542 p.


Dix ans après La trace de l’escargot, l’inspecteur Benjamin Sioui revient dans une nouvelle enquête qui prend pour cadre Cuba, plus précisément La Havane. Amérindien d’origine, Benjamin Sioui est un policier atypique, à la fois chamane, cocaïnomane et profondément romantique. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur l’une des « transes » de l’inspecteur, au cours de laquelle il comprend qu’il doit élucider une enquête sur des disparitions d’enfants. En effet, les enfants de La Havane ne sont plus en sécurité : un meurtrier pour le moins sadique sévit sur l’île. Épaulé par la sergente Maeva Corrales, dont il tombera rapidement – et éperdument – amoureux, Benjamin tentera de remonter la piste du tueur. Mais le policier investigue à sa manière, avec des méthodes atypiques à l’image de sa personnalité paradoxale.

Atypique, L’heure sans ombre l’est assurément. J’ai été fascinée par l’existence même de cet étrange roman, qui amalgame différents genres, en plus, bien sûr, du polar. Car ce livre ne s’embarrasse pas d’étiquettes : il est généreusement ce qu’il est, son format – presque 550 pages – témoignant de l’ambition de Benoît Bouthillette (d’ailleurs, ce n’est que la première partie d’un diptyque intitulé La somme du cheval, le deuxième tome étant attendu en 2017). De surcroît, l’écriture de L’heure sans ombre est fort personnelle : traversée de passages en espagnol ainsi que de références culturelles hétéroclites. Un peu plus (je dis bien un peu plus, étant donné que je suis davantage une fille du nord, qui a après tout choisi Fermont comme destination lors de ses dernières vacances estivales) et j’aurais eu envie d’aller visiter le Cuba dépeint par Bouthillette, à des lieues des clichés touristiques connus.

L’intrigue, que je qualifierais de « morcelée », contribue aussi à l’originalité de ce roman, qui séduira les amateurs de narrations imprévisibles. Si vous aimez les enquêtes présentées de manière plus « chronologique », L’heure sans ombre risque de vous déplaire. Car ce pavé de Bouthillette étonne, avec ses images parfois exacerbées (le meurtre du petit frère), parfois effrayantes (les mille-pattes), parfois à la mode (bars et boîtes de nuit), parfois amoureuses (entre autres la conclusion, qui m’a fait me demander si elle avait été improvisée par l’enchaînement des chapitres ou déterminée ainsi dès le départ).

Un roman audacieux que L’heure sans ombre (je salue une nouvelle fois le cran de Druide, qui a manifestement choisi de publier des livres originaux) pour lecteurs intrépides et atypiques... à l’instar de Benjamin Sioui, finalement.


*Le Voyage insolite fera relâche jusqu'au 25 janvier. D'ici là, de belles vacances à vous tous et bonne année 2016 !
 

jeudi 17 décembre 2015

vendredi 11 décembre 2015

Le Voyage insolite (émission du 7 décembre)


Éric Gauthier, La grande mort de Mononc’ Morbide, Alire, 2015, 526 p.

La grande mort de Mononc’ Morbide est le cinquième livre d’Éric Gauthier. À ce jour, l’auteur a publié trois romans et deux recueils de contes. Fervent de fantastique, Éric Gauthier aime proposer des récits qui allient son genre de prédilection à la fantasy urbaine. Son dernier ouvrage est à cette image, les villes de Sherbrooke et de Montréal se teintant d’étrangeté, voire d’une touche de magie.

La couverture éclatée du roman représente bien la folie créatrice qui anime Élise Lépine, l’héroïne du livre. Malchanceuse depuis toujours, à l’instar de plusieurs membres de sa famille, Élise croit que le vent est en train de tourner. En effet, elle vient de se faire offrir de participer à la conception d’une fête privée, sous l’égide d’un très riche client. Toutefois, la jeune femme doit veiller à surprendre le millionnaire Pierre Daigle, qui en a vu d’autres. Élise ressent donc une certaine appréhension à l’idée de ce qui l’attend. Elle décide alors de quitter Montréal un moment, afin d’aller chercher l’inspiration à Sherbrooke auprès d’Edgar, son vieil oncle grincheux. Mais, entre-temps, Edgar, comédien déchu de l’émission pour enfants La maisonnée, s’est résolu à héberger un colocataire pour payer ses factures. Ce colocataire, Steve, se révèle bientôt obsédé par La maisonnée, de plus en plus obnubilé par l’idée de ramener Edgar sous les projecteurs, plus spécifiquement dans son rôle de Mononc’ Morbide. Mieux, Élise et lui pourraient lui donner un grand rôle dans la réception qu'organise la jeune femme. Car Edgar est âgé, et Steve croit qu’il doit préparer sa « sortie de scène » d’une manière mémorable.

Roman au fantastique minimaliste,  La grande mort de Mononc’ Morbide est un livre sympathique parsemé d’humour, qui se lit avec un sourire en coin. Les personnages, qu'il s'agisse d'Élise, d'Edgar ou de Steve, sont particulièrement réussis, leur psychologie étant finement dépeinte. Car, en fait, ce sont leurs interactions qui constituent le cœur de cet ouvrage. Les fervents de fantastique moins « modéré » pourraient donc demeurer sur leur faim, notamment en ce qui a trait au dénouement de l’intrigue. Pour ma part, j’ai aimé me laisser emporter par ces protagonistes réalistes à l’intérieur de cette aventure simple, narrée de manière fluide et rythmée (les 200 dernières pages contiennent néanmoins quelques longueurs... l’histoire totalise après tout 526 pages, ce qui est beaucoup).

Bref, Éric Gauthier nous offre, dans La grande mort de Mononc’ Morbide, un récit qui respire l’authenticité et l’humanité. Un roman qui s’intéresse au côté modeste, spontané de la vie. À l’image d’Élise, en somme.



Isabelle Lauzon et Nadine Bertholet, Allégeances (Clowns Vengeurs), Porte-Bonheur, 2015, 194 p.

Allégeances est le onzième « Clowns vengeurs » à paraître aux éditions Porte-bonheur. C’est également le deuxième titre de la nouvelle mouture de la collection, qui s’adresse désormais aux adultes, en plus des adolescents. Pour ce faire, la série propose notamment des ouvrages plus longs. C'est d'ailleurs la première fois dans la collection que deux auteures s’unissent afin de nous offrir un même roman. L’histoire se décline en deux parties assez différentes l’une de l’autre (ce qui laisse présager que chacune d’entre elles a été rédigée dans un premier temps par l’une des co-écrivaines). Le livre se présente sous une couverture assez réussie, qui allie science-fiction et esthétique gothique. D’emblée, nous sentons l’enthousiasme d’Isabelle Lauzon et de Nadine Bertholet, véritables érudites de l’univers des Clowns vengeurs.

Nous faisons d’abord la rencontre de Deloan, nouvelle recrue des menvatts. Contrairement à son frère Gayle, Deloan remet en question certaines des techniques de l’ordre, dont il interroge la pertinence. Bien des années plus tard, Deloan, devenu chef d’une importante section, aura à résoudre un cas particulier : celui d’Avner Lormax, un menvatt qui a engagé une adjointe singulière. En effet, Sinda, à l’époque où elle était enfant, a vu sa mère mourir au terme d’une poursuite mêlant menvatts et acurides. Fascinée par les menvatts et avide de vengeance envers les acurides, Sinda profitera du travail offert par Avner Lormax pour régler certains comptes personnels et familiaux. Jusqu’à ce que sa « fascination » dépasse les bornes...

Agréable à lire, Allégeances propose des personnages intéressants, au premier chef Sinda. La jeune adjointe est sans contredit le personnage-clef du livre. En ce sens, il est dommage que Sinda soit absente de la première partie du roman. La seconde partie, sans surprise, est la plus prenante, avec ses descriptions glauques et ses scènes d’action bien rythmées. 

En outre, la connaissance de l’univers des Odi-menvatts est bien intégrée dans l’ensemble d’Allégeances, qui est l’un des tomes de la série qui m’a paru le plus solide, réfléchi. Bref, nous sentons le soin qu’Isabelle Lauzon et Nadine Bertholet ont mis à rédiger cet opus. Opus qui fera passer un bon moment aux adeptes de sang noir !

vendredi 4 décembre 2015

Le Voyage insolite (émission du 30 novembre)


Solaris no 196, automne 2015. 


Le dernier numéro de Solaris, revue que j’ai eu l’occasion de commenter à maintes reprises dans le cadre de l’émission, vient tout juste de paraître. Magazine incontournable pour les fervents de littératures de l’imaginaire, le périodique en est presque à sa 200e publication... Ce qui vaut la peine d’être souligné ! (D’ailleurs, je me demande si l’équipe nous concocte quelque chose de particulier pour le numéro 200... à suivre l’automne prochain !) Le numéro 196, quant à lui, se présente sous une couverture de l’artiste visuel Tomislav Tikulin, que les abonnés de Solaris connaissent bien. Au programme de cette livraison d’automne, pas moins de sept nouvelles, deux articles et les trois chroniques habituelles : « Sci-néma », Les « littéranautes » et « Lectures ».

Du côté des fictions, il faut préciser que deux des textes proviennent du concours d’écriture sur place organisé chaque année par Julie Martel lors du Congrès Boréal. Les participants disposent d’une heure pour rédiger une histoire complète. Il en résulte le plus souvent des textes brefs, dont l’intérêt découle en partie de leur délai de création. En 2015, c’est Enola Deil (catégorie auteurs montants) et Dave Côté (catégorie auteurs pro) qui l’ont remporté. J’ai beaucoup aimé « Lupusdias » d’Enola Deil, une histoire de transformation à la belle atmosphère, qui tient naturellement en deux pages. 

Parmi les nouvelles « régulières », je retiens entre autres « Le sourire d’Arkimède » d’Eve Patenaude, fiction touchante aux personnages complexes. Nous y suivons deux frères, Damion, un hypersensible, et Arkimède, un cérébral. Bien que l’univers mis en scène soit un peu dichotomique, l’évolution de la relation entre les frères est si forte, si crédible, que ce récit demeure longtemps en mémoire. En plus, Eve Patenaude a une jolie plume, qu’il me tarde de relire.

Autre texte que j’ai retenu, « La cordillère des monts et des fosses », de Dominic Tardif. Ici aussi, l’ambiance est réussie, évocatrice, et le drame des deux protagonistes (des frères, tiens, tiens), qui vont explorer une cordillère dont on ne revient jamais, est prenant. Un auteur à suivre ! 

L’incontournable « Carnet du futurible » de Mario Tessier est également au programme. Cette fois-ci, l’auteur consacre un article à la passion de Lovecraft pour l’astronomie. Le résultat est comme toujours instructif et intéressant, servi par un ton juste. Bel ajout au sommaire de ce numéro 196, un second article, pertinent également, signé Pierre-Alexandre Bonin. L’essayiste s’attarde à la mémoire artificielle dans l’œuvre d’Asimov. Nul doute, Solaris termine l’année en beauté, témoignant de la vitalité de l’imaginaire québécois. À lire quatre fois par année, impérativement ! 



Alibis no 56, automne 2015. 

Au Québec, le milieu des littératures de l’imaginaire se porte bien, plusieurs lecteurs fidèles affectionnant à la fois le format du roman et de la nouvelle. Toutefois, du côté du polar, le lectorat demeure plus tiède à l'égard de la forme brève et aux périodiques du genre, pourtant essentiels à l’effervescence du milieu. C’est pourquoi, si vous aimez le polar et le noir, je vous recommande chaleureusement de vous abonner à Alibis, une revue qui doit continuer à exister (en plus, un abonnement fait un excellent cadeau de Noël !). Chaque trimestre, le magazine propose en effet nouvelles et articles d’une grande qualité. Mais Alibis a besoin de sentir davantage qu’elle joue un rôle clef dans le microcosme du polar. 

De surcroît, ce 56e numéro vaut le détour, avec pas moins de cinq fictions sur la thématique de la liberté d’expression. À l’honneur : Geneviève Blouin, Martine Latulippe, Hugues Morin, Jean-Jacques Pelletier et Richard Sainte-Marie. Coup de cœur pour « Ravaler ses mots » une quasi-novella de Jean-Jacques Pelletier qui met de l’avant un journaliste qui aime briser les réputations... jusqu’à ce qu’il se retrouve lui-même assassiné. Histoire fluide d’une belle densité, « Ravaler ses mots » montre clairement les affinités de l’écrivain pour la thématique. À lire !

Bien que les textes de ce numéro d’automne soient tous de qualité, j’ai également un penchant pour le bref « Le prix du désir », de Martine Latulippe, qui, en quelques pages, réussit à nous faire sentir les conséquences de l’infidélité d’une femme haut placée. Le tout avec cette écriture soignée à laquelle l’auteure nous a habitués et, ce qui ne gâche rien, une jolie chute. De quoi vous donner envie de vous procurer le recueil Les faits divers n’existent pas, si ce n’est fait.

Deux essais, l’un de Jean-Jacques Pelletier, l’autre de Richard Sainte-Marie, viennent enrichir la généreuse section rédactionnelle d’Alibis (elle compte 67 pages ce trimestre). Tous deux fort instructifs, ils sont accompagnés d’une entrevue avec Émile Martel, réalisée avec justesse par Pascale Raud. Les incontournables chroniques littéraires et cinéma complètent le sommaire.

Bref, comme je le mentionnais en introduction : si vous voulez qu’Alibis continue à exister et que vous n’êtes pas abonné, n’attendez plus pour devenir complice du crime. En plus, il est possible de réaliser la transaction en un clic sur revue-alibis.com. Vous voilà avertis ! 


mercredi 25 novembre 2015

Là où les ombres s'égarent

Il existe certains lieux plus "classiques" de l'exploration urbaine, pour ne pas dire cultes. L'ancien institut psychiatrique de Sainte-Clotilde-de-Horton fait partie de ces endroits qui sont pratiquement des passages obligés auprès des fervents de ruines. Le désavantage de ces bâtiments, toutefois, est sans contredit leur extrême fréquentation, qui a tendance à chasser les fantômes (l'asile serait prétendument... hanté !). Heureusement, notre petit groupe a pu profiter d'une accalmie des âmes errantes pour visiter la vieille construction en pierres aux fondations vacillantes. Entrons...






 


  (photos de Frédérick et de moi)

lundi 23 novembre 2015

Le Voyage insolite (émission du 16 novembre)


Philippe-Aubert Côté, Le jeu du démiurge, Alire, 2015, 717 p.


   Le jeu du démiurge, premier roman de Philippe-Aubert Côté, surprend d’emblée par son ampleur : 717 pages dans une police de caractères de petite taille. L’illustration de couverture de Grégory Fromenteau, qui met en scène un dragon mécanique survolant des milliers d’édifices, est à l’image de l’ambition de l’auteur. Connu pour sa minutie et son perfectionnisme, Philippe-Aubert Côté a en effet patiemment façonné son univers à travers la trentaine de chapitres de son volumineux ouvrage.

   Le roman s’articule autour de trois personnages phares masculins et/ou hermaphrodites : Takeo, un Mikaie qui, à l’instar de plusieurs personnes de son peuple, est en proie à la régression, ainsi que Nemrick et Rumack, deux amoureux éridanis, descendants d’humains, qui possèdent des talents de démiurges. La régression, alias le « mal de Rumack », affecte les Mikais depuis des décennies : sans « l’étincelle » fournie par les arbres-machines, les semblables de Takeo commencent à agir comme des singes. Takeo, jeune homme qui n’a pas froid aux yeux, entreprend alors, avec l’aide de Nemrick, un Ludis, de contrer la malédiction. Mais plusieurs protagonistes se mettront en travers de leur chemin, dont Sackurah, le personnage féminin le plus dense du livre. Pendant ce temps, les menaces de guerre grondent...

   Roman-fleuve aux multiples péripéties, Le jeu du démiurge est l’un de ces récits qui ne se résume pas aisément. Philippe-Aubert Côté y propose un univers personnel, bonifié par ses connaissances en biologie et sur les nanotechnologies. L’auteur a également pris soin de développer les rapports filiaux et amoureux entre ses différents protagonistes, ce qui donne à l’intrigue une bonne ampleur dramatique, même si la longueur du livre se prête moins facilement au suspense. La trame narrative est de surcroît portée par le style précis de l’écrivain, que l’on devine maintes fois peaufiné au fil des réécritures. En ce sens, peut-être Philippe-Aubert Côté a-t-il voulu décomplexifier le corps de l'ouvrage en adjoignant un lexique à la fin du roman, aspect qui ne m’a pas convaincue. En effet, le lexique, obligatoire à consulter, contient exclusivement des termes inventés par l’auteur (il ne s’agit pas d’un lexique historique optionnel, bienvenu dans de semblables publications), et le lecteur doit constamment s’y référer pendant les 150 premières pages. La meilleure méthode pour intégrer les informations regroupées dans le lexique aurait été sans contredit de les inclure dans le texte de manière fluide, tout en évitant l’infodump.

   Cela dit, Le jeu du démiurge est un roman à la construction intellectuelle, cérébrale, qui force le respect, d’une belle inventivité et d’une grande qualité. Comme les parutions d’une telle envergure en science-fiction québécoise ne courent pas les rues, c’est une publication à souligner. Quant à moi, ça m’a donné envie de m’envoler vers Selckin-2 !



François Lévesque, La noirceur, Éditions Alire, 2015, 256 p.


   La noirceur de François Lévesque, septième roman de l’auteur, se présente sous l’une des couvertures les plus saisissantes jamais parues chez Alire. En effet, la couverture, réalisée par l’écrivain lui-même, témoigne de manière particulièrement puissante des terreurs de l’enfance. La gueule ouverte de la créature pourrissante qui émerge des ténèbres promet le plus sombre des romans fantastiques. C’est dire si le livre s’offre esthétiquement sous les meilleurs augures ! De plus, nous comprenons rapidement que le thème de la maison hantée, qui recèle un potentiel certain pour qui sait en exploiter habilement les ficelles, sera à l’honneur.

Guillaume Kaminski et sa fille Daphnée, dont il a obtenu la garde après son divorce, viennent en effet de déménager dans la maison dont ils ont hérité. Le père de Guillaume, un homme secret et taciturne, est décédé à l’intérieur de son garage dans des circonstances quelque peu nébuleuses. Mais la mort du vieil homme n’est pas la seule à être entourée de mystères : en fait, Guillaume a presque tout caché de son passé à sa fille unique. Daphnée est ainsi mise devant le fait accompli après le déménagement. L’adolescente, qui soupçonne déjà sa mère narcissique de l’avoir abandonnée, ne pourra que laisser libre cours à sa colère. En plus, la maison est située à Sorel, à des kilomètres et des kilomètres de la demeure de Sophie, sa meilleure amie. Toutefois, Guillaume et sa fille sont loin d’être isolés dans cette vieille habitation, qui est visiblement l'hôte de forces occultes. Forces occultes dont ils ne tarderont pas à constater la malveillance...

Comme vous l’aurez compris dans le résumé qui précède, le fantastique déployé dans La noirceur est très classique, calqué sur le cinéma d’épouvante des dernières années (on croirait lire un scénario de film d’horreur réécrit pour en faire un roman). Le récit suit un cours prévisible qui surprend peu, sauf peut-être la finale, qui aurait gagné à être davantage préparée. Car, ce qui est mis de l’avant ici, c’est avant tout la relation père-fille entre Daphnée et Guillaume, ainsi que le langage coloré des adolescentes (qui occupe de nombreuses pages). La frayeur promise par la couverture est donc reléguée à l’arrière-plan, le livre ne parvenant pas à nous effrayer tel qu’escompté, par exemple dans cette scène : « à l’intérieur du placard [...] l’une des boîtes de jeu ressortit soudain, comme si une main invisible l’avait tiré. Il s’agissait de la boîte de la planche de Ouija » (p.35). 

Rappelons que le fantastique repose en grande partie sur ses ambiances et que la précision et le pouvoir d’évocation du vocabulaire sont essentiels à ce genre difficile. Et bien que l’écriture de François Lévesque soit plus aboutie dans La noirceur que dans Une maison de fumée, son roman précédent, elle ne réussit pas à recréer cette tension, cette atmosphère de vertige que recherche le lecteur de fantastique (alors que, par contre, les passages dialogués et ceux sur les relations familiales sont maîtrisés). La noirceur est donc un récit qui fait réfléchir sur les mécanismes du genre. Je le recommanderai aux lecteurs en quête d'une frousse qui ne les empêchera pas de dormir !

mardi 17 novembre 2015

Salon du livre de Montréal : une table ronde


J'ai déjà eu l'occasion de l'écrire ici : cet automne est plus tranquille au point de vue événements littéraires et salons du livre. Comme je n'ai pas de nouveautés (ma dernière parution en roman remonte à mai 2014), je n'ai pas, sans surprise, de séances de dédicaces prévues au Salon du livre de Montréal. Par contre, j'ai la chance d'être invitée à une table ronde intéressante, animée par le sympathique Billy Robinson. En voici les détails :

    Samedi 21 novembre - 17h  / La littérature de « genre », fantastique, horreur et science-fiction au Québec - Table ronde animée par Billy Robinson, librairie de Verdun
Avec Philippe Aubert-Côté, Ariane Gélinas et Vic Verdier / Maison des libraires


Avis aux fervents d'imaginaire québécois ! Et question de convaincre les indécis : une photo de mon raton-laveur domestique en pleine "action", dans un autre type de salon.

Je compte aussi, bien entendu, en profiter pour visiter le salon en tant que lectrice.


En espérant vous voir là-bas !

dimanche 15 novembre 2015

Le Voyage insolite (émission du 9 novembre)


Chris Beckett, Dark Eden, Presses de la cité, 2015, 414 p.


Originaire d’Angleterre, Chris Beckett est l’auteur de trois romans, dont Dark Eden (qui a mérité le prix Arthur C. Clarke). Présenté sous une couverture minimaliste et terne, Dark Eden nous convie à une odyssée singulière sur une planète qui doit sa chaleur et sa lumière à son activité géothermique et à la bioluminescence de sa flore. Autrement, Eden est plongée dans le noir. 

Pourtant, c’est sur cette planète qu’Angela et Tommy ont été contraints de s’installer il y a cent-soixante-quinze ans, à la suite d’un grave bris mécanique de leur vaisseau. Tandis que leurs trois collègues de mission tentaient de retourner sur Terre, Angela et Tommy, peu convaincus que le vaisseau était capable d’effectuer le voyage, ont choisi de demeurer sur Eden, la planète géothermique. Et le temps a passé sans que les secours daignent venir les chercher. Les enfants, puis les petits-enfants et les arrière-petits-enfants d’Angela et de Tommy se sont donc reproduits sur leur planète adoptive, fondant un clan nommé « Famille ». Jamais « Famille » ne s’est éloignée outre mesure de l’endroit où les spationautes demeuraient autrefois. Encore et toujours, les descendants d’Angela et de Tommy espèrent qu’un vaisseau en provenance de la Terre vienne les secourir. Mais le territoire que les nombreux habitants d’Eden occupent suffit de moins en moins à nourrir l’ensemble de la communauté. Conscient de ce problème qui ne peut que s’aggraver avec les années, John Lampionrouge, adolescent audacieux, convainc un petit groupe de jeunes d’aller explorer le territoire inconnu par-delà « Noirneige ». Son initiative troublera gravement la quiétude d’Eden...

L’une des forces de ce roman de Chris Beckett est indéniablement son cadre. L’auteur a en effet développé la planète Eden de manières fort inventive et intéressante, que ce soit dans sa faune ou dans sa flore. Les personnages, également, surtout John et Jeff, sont finement construits. Nous ressentons très bien l’envie d’exploration qui les anime, même si l’on peut s’étonner que les habitants d’Eden aient attendu 175 ans pour visiter leur territoire (et aussi pour régler certains problèmes de base comme de se fabriquer des chaussures !). En ce sens, la forte régression des "Edeniens", 175 ans après leur naufrage, peut paraître excessive. 

De plus, le langage employé par les protagonistes, très personnel et assez loin de la langue initialement parlée par Angela et Tommy, peut surprendre. Certes, la langue évolue et fluctue au cours du temps, mais à ce point en 175 ans ? Cela dit, cette langue excentrique confère un charme certain à Dark Eden, même si une période d’adaptation au style est nécessaire pendant les premiers chapitres.

Bref, Chris Beckett nous propose avec Dark Eden un roman de science-fiction initiatique fort sympathique, pourvu d’une narration polyphonique qui évite la monotonie. Une lecture agréable, accessible et originale, qui mérite son prix Arthur C. Clarke.

lundi 2 novembre 2015

Novembre au Nord

Novembre s'amorce par un nouveau défi qui m'enthousiasme tout particulièrement et sur lequel je peux maintenant lever le voile : je suis désormais directrice littéraire/chargée de projet à la revue de littérature et d'arts visuels Le Sabord (un périodique d'une très belle facture artistique qu'il vaut la peine de découvrir, si ce n'est fait). 

En plus, le premier numéro sur lequel je travaillerai portera sur une thématique qui semble prédestinée pour moi : le Nord ! Cet emploi dans le milieu de l'édition tombe à point, sans oublier que je suis ravie de travailler au sein de cette maison d'édition de Trois-Rivières que j'affectionne. Vivement, donc, de commencer à arpenter les territoires du Nord pendant la grisaille de novembre !

samedi 31 octobre 2015

Clova fantôme


Comme je l'ai mentionné dans le dernier billet, qui mettait à l'honneur le Clova de 2015, il existe un pendant fantomatique au village... que j'ai eu envie de vous faire visiter juste à temps pour l'Halloween. Puisque le village a déjà compté 565 habitants de plus qu'aujourd'hui, les chances étaient élevées, pour ne pas dire assurées, que des ruines soient visibles. Je m'attendais à repérer de nombreuses fondations ensevelies aux trois quarts sous la végétation, à l'instar des vestiges du village fantôme d'Oskélanéo/Escalana (un incendie étant, dans ce cas-ci, en partie responsable de l'état des maisons abandonnées) et, peut-être, quelques demeures désertées oubliées par le temps. 

Alors vous imaginez la surprise que j'ai eue de découvrir un quartier fantôme au complet, qui rassemble dix maisons (+ une à l'écart, aux abords des rails, qui a été - et c'est visiblement la seule - la proie des flammes). Je vous invite donc à commencer cette visite du Clova d'autrefois par le parc en friche en face de l'auberge (qui est en fait l'ancienne école, le parc étant la cour où s'amusaient jadis les enfants...) et à escorter les spectres jusqu'à ce quartier qui, désormais, les héberge...

 Ancien parc en face de l'auberge Clova : depuis combien de temps un enfant a-t-il emprunté la glissade ?
Vue panoramique du quartier fantôme / Cliquer pour agrandir (sept des onze maisons y sont visibles : les quatre de droite étaient d'une architecture identique - celle de l'extrême droite ne figure pas sur l'image)

 
Visitons ces lieux en suspens...




 











 



Joyeuse Halloween !