vendredi 27 février 2015

Le Voyage insolite (émission du 23 février)


Serge Brussolo, La route de Santa Anna, Paris, Éditions du Masque, 2014, 393 p.

Il y avait quelques années que Serge Brussolo n’avait pas publié aux Éditions du Masque. Il y fait son retour avec La route de Santa Anna, un inédit qui paraît dans la collection « Masque poche ». Ce roman noir est présenté sous une couverture assez rebutante, à laquelle il serait dommage de s’arrêter ; visiblement, les éditeurs ont voulu miser sur le combo mafia/voitures de course afin de vendre leur produit. Mais qui connaît Brussolo sait qu’il ne s’agit que d’un « emballage » pour nous proposer, comme l'auteur en a l'habitude, une trame narrative originale et inventive.

Nous sommes aux États-Unis, à la frontière du Texas et du Mexique. Un monument prétendument commémoratif est construit de part et d’autre de la frontière afin de faire transiter clandestinement produits illégaux et argent à blanchir. Érigé à l’endroit où le fleuve est le plus étroit, le monument doit servir de rampe de lancement et d’atterrissage à une voiture gonflée à l’oxyde nitrique. Mais la traversée n’est pas facile à réaliser, et les instigateurs du projet auront recours aux services de Markh, un cascadeur doué, qui ne s’implique généralement pas dans de telles magouilles. L’obstacle principal viendra toutefois d’une famille dysfonctionnelle qui demeure dans une maison mobile près de la frontière. Déterminée à mettre la main sur le magot, la famille de criminels improvisés ne se doute pas que le vol des billets sera le premier pas vers un périple à la fois sordide et imprévisible...

La route de Santa Anna est l’un de ces récits qui prend un certain temps à s’installer, plus conventionnel dans sa première moitié. Mais après la page 200, nous retrouvons le Brussolo que nous connaissons et le suivons avec bonheur dans des lieux inusités, telle cette « montagne creuse » qui habite de curieux secrets. Les personnages, presque tous cupides à leur façon, sont dépeints avec verve, particulièrement la famille de Texans. J’ai également apprécié l’alternance des points de vue narratifs, qui confère au roman une dimension polyphonique intéressante. Une mention aussi pour le dénouement, un peu rapidement amené, mais surprenant. Cela dit, les dialogues, emplis d'argot français, donnent parfois l’impression d’écouter un doublage plus ou moins juste de film américain.

Au final, La route de Santa Anna est un roman sympathique, bien que je l'ai trouvé moins prenant que d'autres livres de Brussolo. Mais une chose ne fait pas de doute : j’en conserverai un souvenir globalement positif. Vivement de relire cet auteur qui excelle – entre autres – dans les genres de l’imaginaire !

mardi 24 février 2015

L'ouverture du Salon du livre de l'Outaouais...

... est imminente ! En ce qui me concerne, j'y passerai l'ensemble de la journée du samedi, au kiosque de Prologue, pour les titres suivants : Le sabbat des éphémères, Dix ans d'éternité et 6, chalet des brumes (Six brumes). Les heures des séances sont les suivantes :

https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiBaSXsir80FUk0qGvvGf6rAYyVWXbsMvCD8pwZ4kZdvZrgLO8uIPakqyijVI_j8PKdg5PuD4QPzO4mOuLcbFTME5GwyXOdEj4fZgYRbsB8758D7C-cDOmwj6LMuXmW0OGzO89fTg_Gc6o/s1600/SLO-Affiche-11x17-72-dpi-662x1024.jpg

28 février - 10h30-12h / 14h-15h / 20h-21h
(espace Prologue - #129)
Palais des Congrès
50, rue Maisonneuve, 3e étage, Gatineau


Bien hâte de retourner pour la deuxième fois à ce Salon ! Aurai-je le plaisir de vous y voir ?

mardi 17 février 2015

Le Voyage insolite (émission du 16 février)


Brian Deleeuw, L’innocence, Paris, Éditions Super 8, 2014, 302 p.

L’innocence est l’un de ces ouvrages desservis par une fausse représentation ; il est vendu comme un thriller atroce et terrifiant. Nous sommes cependant assez loin de l’horreur pure dans ce premier roman de Brian Deleeuw, de même que du thriller. Nous avons plutôt affaire à du fantastique psychologique tout en nuances, qui ménage ses effets de terreur. Il va donc sans dire que j’ai été étonnée de trouver complètement autre chose que ce à quoi je m’attendais dans ce livre. 

L’histoire s’articule autour de l’existence solitaire de Luke Nightingale, à laquelle viendra bientôt se greffer Daniel. La nature de Daniel, que l’auteur ne révèle pas immédiatement, apparaît toutefois assez tôt au lecteur grâce à maints indices. Alors que Luke est un petit garçon d’une grande douceur, Daniel est son pendant cruel et sanguinaire. Autour d’eux gravite la figure tourmentée de Claire, la mère de Luke, qui, à l’instar de sa propre génitrice, a de graves problèmes psychologiques. À mesure que les années passent, Luke et Daniel assistent à son décrochage progressif du réel. C’est dans cette lente gradation vers la folie et le fantastique que réside à mon avis l’intérêt principal de L’innocence, qui aurait assurément gagné à être présenté comme du fantastique feutré. Car, hormis une scène finale forte, le potentiel horrifique du récit est mince, les éléments de cruauté étant abordés avec trop de retenus. De plus, comme ils sont peu nombreux dans les quelque trois cents pages du livre, le fantastique s’étire ici en longueur.

Néanmoins, il y a de belles idées dans L’innocence, et la thématique de la dualité est parfois rendue avec justesse. Les hésitations de Luke face au « mal » constituent des temps forts du récit. Malheureusement, je n’ai pu m’empêcher de me dire, après avoir refermé cet ouvrage, qu’il y avait là matière à faire quelque chose d’exceptionnel, mais que l’auteur n’était parvenu qu’à offrir quelque chose de bien. Mais comme il s’agit du premier roman de Brian de Leeuw et que son potentiel narratif est perceptible, je ne doute pas qu’il saura parfaire son art avec les années. En attendant, L’innocence s’adresse surtout aux lecteurs de fantastique discret qui ne recherchent pas les effets trop déstabilisants.


mardi 10 février 2015

Le Voyage insolite (émission du 9 février)


Solaris no 193, hiver 2015

Le numéro d’hiver de Solaris se présente sous une couverture de Tomislav Tikulin qui flirte avec le space opera. Cette couverture accompagne très bien deux des fictions au sommaire, soit celles de Bernard Henninger et de Dave Côté. Au programme, six nouvelles, dont trois d’auteurs de la relève (Blouin, Côté et Croisetière), les incontournables Carnets du Futurible et Chronique cinéma, ainsi qu’une très généreuse section critique de 32 pages. Je signale également que d’autres critiques se trouvent sur le site de la revue Solaris, plus précisément dans l'onglet blogue.

Du côté des fictions, agréablement illustrées par Laurine Sphener, je retiens surtout les contributions de Mathieu Croisetière, de Claude Lalumière et de Geneviève Blouin, avec une petite préférence pour la dernière.

Avec « Le gardien », Mathieu Croisetière s’est classé finaliste au Prix Solaris de l’an dernier. Il faut dire que l’ambiance forestière de cette nouvelle, énigmatique à souhait, est particulièrement bien rendue. Nous y suivons des amis qui vont couper un sapin dans une forêt qui obéit à ses propres règles... et qui aura tôt fait de le montrer aux intrus ! Un récit au rythme efficace, même si le fantastique aurait pu être développé de manière plus angoissante pour accentuer l’efficacité du texte.

« Les fleurs de Katrina », de Claude Lalumière, se déploie autour d’une simple, mais magnifique idée : Katrina est une jeune femme capable de voir les « auras » des différents choix heureux et malheureux que les gens ont faits dans leur existence. Elle a ainsi constamment face à elle les acteurs de différents destins... Jusqu’à ce qu’elle fasse la rencontre de Lewis, qui ne porte pas le fardeau de ses décisions passées. Encore une fois, un texte réussi de Claude Lalumière, qui démontre son indéniable maîtrise de la nouvelle fantastique.

« Les maisons d’éternité », de Geneviève Blouin, est un texte de science-fiction poignant qui fait réfléchir sur la mortalité et le passage du temps. Dans une civilisation influencée par les croyances égyptiennes de l’Antiquité, Néféri veille avec les autres gardiens sur les Éternels. La transition vers l’au-delà est ici vue comme l’état suprême à atteindre... Mais est-ce vraiment le cas ? Avec son sens de la narration et ses connaissances historiques, Blouin prouve encore une fois ses talents de nouvelliste. Un texte, fidèle à son thème, qui reste longtemps en tête !

Comme je le signalais plut tôt, Solaris est complété par les Carnets du futurible de Mario Tessier, qui s’intéressent cette fois, comme toujours avec expertise, aux Élois et aux Morlocks. Bref, un numéro d’hiver fort sympathique, qui entame avec force la quarante et unième année d’existence de Solaris !


Alibis no 53, hiver 2015.


Le nouveau numéro d’Alibis, périodique consacré au noir et au polar, se présente sous une couverture de Bernard Duchesne, qui accompagne la nouvelle de Chloé Barbe. Au menu, trois histoires de plumes féminines (une première, pour la revue), un article et une entrevue, ainsi que les habituelles chroniques : Camera oscura, Le crime en vitrine et Dans la mire. Un numéro sous le signe de la diversité, qui, comme vous le verrez, commence bien l’année.

Le sommaire des fictions s’ouvre sur « Entre le premier et le deuxième point », un texte de Natacha Beaulieu, auteure de récits noirs et fantastiques souvent à teneur érotique. Cette nouvelle ne fait pas exception à ses thèmes de prédilection, même si elle flirte surtout avec le post-apocalyptique (ce qui surprend un peu, étant donné les genres couverts par Alibis). Nous retrouvons dans cette histoire intrigante des personnages très « beaulieusiens », par exemple Évariss et Mugine, qui évoluent dans un monde saccagé par une épidémie. Unique !

« Paranoïa pour les nuls », de Chloé Barbe, met en scène, comme son titre l’indique, un grand paranoïaque. La jeune auteure, très prometteuse, réussit à rendre avec brio – et avec un sens certain du rythme – la pathologie de Pierre, qui se retrouve au centre d’une machination criminelle. 

Troisième et dernier texte, la nouvelle primée « Elles sont devenues des ombres », de Twist Phelan (fort joli titre d’ailleurs, gracieuseté du traducteur), raconte l’enquête autour de la disparition d’Imakilee. J’ai été peu absorbé par ce récit, dont la finale m’a déçue, bien qu'il soit développé avec une certaine ampleur (il s’agit d’une novella).

Suit un article instructif sur les polars de David Montrose, signé Norbert Sphener, qui donne envie de se procurer la réédition de Meurtre à Wesmount, ainsi qu'une entrevue, très agréable à lire, avec Jussi Adler-Olsen. Christian Sauvé commente pour sa part les dernières sorties cinématographiques du côté du polar. Un rendez-vous trimestriel comme toujours apprécié. Sans oublier les critiques de livres, rédigées avec professionnalisme. En attendant le numéro de printemps d’Alibis, je vous souhaite donc bonne lecture de cet opus !