vendredi 7 juin 2013

Du fétichisme des périodiques : Virages 61


Virages no 61, automne 2012, 101 p.


Une parution sur deux, la revue Virages propose un numéro thématique, qu’elle confie à un anthologiste. Pour cette livraison d’automne, la direction a fait appel à Suzanne Myre, auteure du roman Dans sa bulle et de cinq recueils de nouvelles remarqués, pour piloter ce spécial au sujet des plus alléchants : l’horreur. Je tiens donc à souligner, pour commencer, cette audacieuse initiative de Virages, revue généraliste qui publie majoritairement de la littérature « blanche », à l’instar de XYZ et de Moebius. En espérant d’autres incursions à venir dans la littérature de genre!

La couverture de ce numéro, de Michèle Laframboise, écrivaine et bédéiste que les lecteurs de Brins d'éternité connaissent bien, est de surcroît fort réussie, avec son arbre inquiétant et squelettique, dont les branches s’inclinent vers un marécage aux eaux noirâtres. Le ton est ainsi donné pour cet opus horrifique, qui s’attarde à la fois sur l’horreur physique et existentielle, comme le souligne Suzanne Myre dans son prologue.

Cinq nouvelles se démarquent dans ce numéro, qui compte en tout douze textes sur le thème et quatre dans la section « Pour les jeunes » (cette section rassemble des histoires écrites par des étudiants du secondaire). Il y a d’abord « Kitty Storm : retour au Triangle des Bermudes » de Laurence Gough, auteure du roman En région arctique et ailleurs (Marchand de feuilles, 2011). L’écrivaine met l’humour de l’avant, en nous présentant un feuilleton d’aventures délirant, au cours duquel Kitty, à la recherche de son amoureux Gordon, perdu dans la jungle, affrontera diverses créatures avant de se retrouver parmi les cannibales. Il en résulte un texte amusant, dans lequel l’horreur est tournée en dérision, mais qui ne manque pas de piquant, porté par un style précis et comique.

« Quand revivra le théâtre inerte » de Frédérick Durand est aussi à retenir, avec son ambiance inquiétante et poétique. Mystérieuse et énigmatique, cette nouvelle nous présente William, un petit garçon putrescent. Ce dernier s’introduit dans un théâtre abandonné, où se déroulaient des pièces sanglantes. Le style est ici particulièrement ciselé, le texte, qui laisse travailler l’imagination du lecteur (sur l’identité du « fou volant », pour ne donner que cet exemple) n’étant pas sans rappeler certains écrits de l’auteur, tels que La nuit soupire quand elle s’arrête ou « L'Heure approche où j'aurai tes yeux », nouvelle parue dans le « spécial cauchemar » de la revue Solaris.

« Le piège » de Cyril Deydier est également un récit intrigant, bien qu’il se fonde sur une prémisse classique : une demi-douzaine de participants se retrouvent coincés dans un jeu virtuel et doivent s’entre-tuer jusqu’au dernier survivant. Nous suivons ainsi Akina, la narratrice, dans le MANOIR où elle est prisonnière en compagnie de cinq autres filles déguisées en costumes « asiatiques », dont une samouraï et une prêtresse bouddhiste. L’action est bien menée, entrecoupée de scènes d’homicides généralement crédibles, même si l’auteur tombe parfois dans le travers du « telling » (dire plutôt que raconter).

Le court texte « Un bon petit diable », de Suzanne Myre, est aussi l’une des belles surprises de ce numéro. Ici, l’horreur est plus « cynique », portée par le délicieux humour noir auquel l’écrivaine nous a habitués. Nous suivons Ève, qui fera la connaissance d’un homme inquiétant, leur rencontre ayant des conséquences inattendues. Fluide et grinçante, cette nouvelle se lit avec plaisir, nous offrant des passages comme celui-ci, lorsque la future mère envisage l’avortement : « Alors, elle le fera elle-même, elle déboulera les escaliers, se jettera sous les roues d’un autobus, s’empoisonnera au PFK, n’importe quoi » (p. 59).

Camille Deslauriers, avec « La pouponnière », signe pour sa part un texte étrange, non dépourvu de parentés avec L’homme-Jasmin d’Unica Zürn, compagne d’Hans Bellmer qui fut internée une partie de sa vie. Cette comparaison n’est pas fortuite, puisque l’horreur revêt ici un caractère psychiatrique (et pédiatrique). La narratrice nous raconte en effet l’existence de ses « enfants » morts-nés, résidents d’une maison abandonnée. Véritables petits monstres, ces nouveau-nés sont minutieusement décrits, tels cet enfant à huit pattes et ces quadruplés agglomérés les uns aux autres, de la taille de pois chiches. « La pouponnière », histoire assurément bizarre, est sans contredit l’un de mes coups de cœur du numéro. 

Les autres nouvelles, bien que moins mémorables, valent aussi le détour, même s’il est possible de regretter que l’horreur y soit plus timide. En fait, l’ensemble du numéro est d’une horreur « modérée », la plupart du temps psychologique, loin du gore auquel La maison des viscères nous a habitués. Mais la parution de ce numéro de Virages est à retenir, le périodique offrant un hommage honnête à un genre littéraire souvent mal-aimé. Intéressés? Vous pouvez commander le « spécial horreur » sur le site de la revue, à cette adresse : revuevirages.com.

(Critique précédemment publiée dans le numéro 34 de la revue Brins d'éternité

2 commentaires:

  1. Bonjour Arianne!
    Je ne trouve cette revue nulle part...:(
    As-tu une idée de l'endroit où je pourrais me la procurer?

    RépondreSupprimer
  2. C'est sans doute parce qu'il s'agit du numéro d'automne 2012 et que le 64 (été 2013) vient tout juste de sortir ;)
    Pour se la procurer, il y a bien sûr l'option d'écrire directement à Virages (direction@revuevirages.com) ou encore de s'adresser à l'éditeur, Les éditions de l'interligne, (http://www.interligne.ca/index.cfm?Voir=sections&Id=12223&M=3256&Repertoire_No=2137990675) ou au distributeur, Prologue (http://www.prologue.ca/ou-trouver-les-livres.html). Tiens-moi au courant !

    RépondreSupprimer