C'est la troisième fois que j'ai l'occasion de participer au "cadavre exquis" qu'organise le fanzine Asile à chaque numéro. En effet, je m'étais prêtée au jeu l'an dernier dans les numéros 0 et 1. Je récidive dans le troisième opus de la revue, dans le cadre d'un texte collectif signé successivement par Shamane, moi-même, Étienne Groleau, Martin Lessard et Pat Isabelle. Puisque l'ordre d'écriture a été dévoilé sur le site du fanzine, je me permets de publier ici mon propre fragment, que j'avais eu beaucoup de plaisir à écrire. Mais, avant de le découvrir de façon autonome, je vous convie à aller visiter le blog d'Asile, afin de lire l'intégrale du "cadavre exquis". Bonne lecture !
Phrase de départ : "Manuel arrive, son père nous quitte".
Il serait plus juste de dire qu’il s’effrite, puisque son corps se fragmente devant nos yeux ébahis, en milliers de fines particules. Sur mes souliers, je remarque la présence de nombreux résidus, qui s’étalent aussi sur le sentier. Je sens sur ma peau que le vent se lève, la brise devenant de plus en plus violente. Les poussières commencent à remuer, puis quelques-unes s’envolent, animées d’une vie propre. Manuel, qui ne comprend pas encore pourquoi son père s’est dissocié, nous regarde, avec des yeux étonnés.
Je lui explique :
— Impossible d’échapper à l’épidémie. Tôt ou tard, le morcellement commencera pour nous aussi.
Manuel déglutit péniblement.
— Mais pourtant, il n’avait rien fait de particulier. Il n’avait même pas touché aux plantes vénéneuses…
Ma sœur, qui était demeurée silencieuse jusqu’ici, intervient :
— Et puis, tous les arbres des environs ont été rasés pour amoindrir les risques de contagion…
Je pousse un soupir de découragement.
— Je sais bien, Éliane, mais n’oublie pas que le pollen continue tout de même de se propager.
Manuel, le teint blême, réussit à bafouiller :
— Il faut quitter les lieux immédiatement.
Il fait un geste pour se pencher vers ce qui reste des cendres de son père, visiblement pour les rassembler dans son sac à dos, qu’il a ouvert. Éliane tente de le retenir. Trop tard. Les contours de Manuel s’estompent comme ses mains étreignent les particules paternelles, qu’il noie de larmes vertes. Ses doigts ont déjà commencé à rapetisser, à devenir de plus en plus fins, telles de longues racines. Il continue de pleurer, et l’eau provoque une réaction inhabituelle sur les résidus charnels, qui cessent un moment de tournoyer, figés dans la mare miniature.
Éliane remarque :
— Il y a longtemps que la pluie n’est pas tombée ici…
Son observation me tétanise. Je demeure un long moment sans bouger, à tenter de me souvenir quand, pour la dernière fois, j’ai senti l’eau tambouriner contre les vitres de ma chambre. L’espace d’un battement, une pensée me terrifie : celle d’être né pendant la dernière pluie.
Ah, la pluie... Sur un toit en tôle, c'est toujours magique.
RépondreSupprimerJ'aime bien ton fragment, la notion de temps se perd dans le dernier paragraphe, ça ouvre un vaste espace dans la lecture.
J'aime aussi le fait que tu sais te débrouiller sans aucune incise dans tes dialogues, une qualité plutôt rare, de nos jours!
Merci, Frost Blast (je ne connais pas ton prénom je pense, tu es un ami de David B. Lachance ?)
RépondreSupprimerQuoi qu'il en soit, tes commentaires sont très appréciés et m'encouragent à écrire d'autres fragments bizarroïdes du genre !
Encore merci !