Depuis cette semaine, j'ai le plaisir de coanimer la chronique littéraire présentée dans le cadre de l'émission de Frédérick, "Le Voyage Insolite", diffusée à CFOU (89.1 fm). Je présenterai, chaque lundi, deux livres parus récemment. Cette semaine, j'ai chroniqué deux titres parus chez Coups de tête, Otchi Tchornya et Les chemins de moindre résistance. En plus de la tribune radiophonique, je diffuserai également mes critiques ici, afin d'offrir aux livres une double visibilité. Cela dit, si vous souhaitez écouter l'émission, nous sommes en ondes le lundi soir à 19h, ainsi que le mercredi à 9h (en rediffusion). Voici donc mes premières notes de lecture :
Otchi Tchornya de Mikhail M. Ramseier
Otchi Tchornya (qui signifie dire Les yeux noirs en français) est le 36e titre de la série Coups de tête. C’est aussi le livre le plus volumineux publié dans la collection à ce jour, avec ses 549 pages. L’ouvrage est signé par Mikhaïl M. Ramseier, un auteur d’origine russe qui vit actuellement aux Caraïbes, et qui a déjà publié une douzaine de romans. Malgré cette prolixité, je ne connaissais pas Ramseier avant de lire Otchi Tchornya, qui est une bonne introduction à son œuvre.
Le roman démarre sur une prémisse fascinante : le personnage principal, Zénobe, découvre que son appartement est habité depuis plusieurs mois à son insu, par deux colocataires clandestins. Les deux femmes, la mère et la fille, qui ont fuies la Russie, ont trouvées refuge en haut de sa penderie, dans un espace qu’elles ont emménagées. En son absence, elles vont et viennent dans l’appartement de Zénobe, en prenant garde de ne rien déplacer. Mais un jour, la mère succombe à un infarctus dans la salle de bain pendant l’absence du propriétaire, qui la retrouve en revenant à son logement. Peu de temps après, il découvrira qu’elle n’était pas seule, et que sa fille, Lana, est maintenant sans ressources. Mais que faire avec une enfant sans famille et sans papiers, qui vit à l’insu de tous dans son placard ? Zénobe décidera finalement de la rendre aux siens, en lui faisant traverser clandestinement plusieurs pays, de la France jusqu’à la Sibérie.
L’une des principales forces de ce roman est sa situation initiale intriguante, qui harponne le lecteur dès le départ. Toutefois, le récit devient moins trépidant à la suite de la découverte de l’enfant, jusqu’à son retour en Sibérie. En fait, ce qui me semble moins fonctionner, c’est le dosage entre les différentes parties du roman, certains épisodes, du voyage par exemple, n’étant pas suffisamment développés, alors que des parties moins intéressantes s’étalent sur plusieurs pages.
De plus, l’auteur ne peut parfois s’empêcher de nous servir des réflexions sur la modernité et les technologies, qui m’ont fait sortir du récit. Lorsque je tombais sur ces passages qui relèvent davantage de l’essai, j’avais hâte que Ramseier retourne à ses personnages, laissés en plan pendant qu’il se perdait en tergiversations. Il faut dire que c’est bien dommage de laisser de côté des personnages aussi attachants que ceux d’Otchi Tchornya, qui sont l’un des éléments forts de ce livre. En effet, l’auteur sait construire des personnages substantiels, les rendre touchants et crédibles. Toute la partie qui se trame en Sibérie est aussi particulièrement réussie, et donne l’impression au lecteur de se trouver réellement sur place.
En somme, Otchi Tchornya, malgré certaines longueurs, est sans contredit un roman habile et dépaysant, avec des protagonistes solides et une intrigue singulière. Et même si le format du roman n’en fait pas réellement un Coup de tête, il demeure que le livre de Ramseier est un roman intéressant, pour le lecteur qui aime les intrigues familiales complexes.
Les chemins de moindre résistance, de Guillaume Lebeau
Les chemins de moindre résistance est le septième roman de Guillaume Lebeau. Ce 34e titre de la série Coups de tête se présente comme un suspense. J’ai d’abord été séduite par le superbe titre du livre. L’expérience de l’auteur, qui a également publié des essais, se ressent d’ailleurs à la lecture de ce récit, qui est servi par une écriture à la fois soignée et maîtrisée.
Les Chemins de moindre résistance nous propose de nombreux personnages, tous reliés entre eux d’une certaine façon. Au départ, l’impression de lire un recueil de nouvelles est persistante, puisque les chapitres nous présentent tour à tour de nouveaux personnages, qui semblent distincts à première vue. Mais le récit démarre peu après la page 50, pour se centrer sur le protagoniste principal : Vin, un adolescent atteint d’une étrange leucémie. Vin, qui sait bien qu’il lui reste peu de temps à vivre, décide de partir à la recherche de son écrivain fétiche, Thomas Ray, qui vit retiré depuis des années en Islande. Pour ce faire, il devra quitter l’hôpital où il est soigné, avec l’aide d’Irina, qui est médecin. Mais, entretemps, l’équipe médicale découvre que la leucémie de Vin est aussi une maladie contagieuse, qui pourrait faire des ravages si l’adolescent n’était pas mis en quarantaine… S’ensuit alors une quête pour retrouver Vin, qui conduira le lecteur jusqu’à des extrémités insoupçonnées…
L’une des forces de ce livre est son caractère imprévisible, Lebeau possédant le talent de faire évoluer toute une galerie de personnages dans une même trame. De plus, la narration polyphonique du roman, qui s’intéresse tour à tour à différents protagonistes, vient enrichir cette impression de progresser dans un univers généreux et longuement réfléchi. Dans Les chemins de Moindre résistance, les ficelles sont minutieusement tirées, donnant comme résultat un roman soigneusement planifié, au rythme lent et constant. D’ailleurs, c’est peut-être ce rythme lent, un peu clinique, qui est la principale faiblesse du roman, qui nous expose les événements d’une manière qui manque parfois un peu d’intensité. Et lorsque l’on sait que le programme de Coups de tête est d’offrir des récits intenses, il est permis de s’interroger sur la place de ce livre dans la série. En tant que tel, le roman de Lebeau est un bon suspense, mais il pourrait aller beaucoup plus loin, notamment avec les idées intéressantes lancées sur la virologie, que l’auteur connaît bien.
Bref, j’aurais aimé être plus secouée à la lecture des Chemins de moindre résistance, ressentir un peu plus l’effroi de l’adolescent atteint de leucémie, de même que l’angoisse des scientifiques aux prises avec cet épouvantable virus. Malgré tout, ce 34e opus de Coups de tête vaut le détour, pour le talent évident de son auteur, qui réussit le pari de la narration polyphonique avec brio, ainsi que pour le traitement de la thématique centrale de la maladie virale, qui est très bien développé.
(Émission du 24 janvier)