Solaris no
192, automne 2014, Lévis, Alire, 160 p.
Afin de célébrer les quarante ans d’existence de Solaris, l’équipe de
la revue a eu la bonne idée de concocter un numéro spécial avec
quarante auteurs au sommaire. Ces quarante écrivains, qui ont tous publié
dans le périodique au fil des années, proposent donc, essentiellement pour des
questions d’espace (le magazine compte comme à son habitude 160 pages), des
nouvelles de 2 ou 3 pages, totalisant environ 750 mots chacune. L’exercice
des textes brefs dévoile parfois une autre facette des collaborateurs ici réunis, plusieurs d'entre eux ne pratiquant pas fréquemment la micronouvelle.
Nous retrouvons par conséquent dans ce numéro anniversaire des écrivains de la
première heure, comme le fondateur de Solaris, Norbert Spehner, sans
oublier Daniel Sernine, Élisabeth Vonarburg, Esther Rochon, Francine Pelletier
et Jean Pettigrew. Des petits « nouveaux », comme Josée Lepire et
Sébastien Chartrand, complètent le sommaire de ce numéro. Autre particularité de l’exercice : chaque auteur s’était vu remettre une
liste de quarante thèmes de l’imaginaire, parmi lesquels il devait en choisir
un (les thèmes sont d’ailleurs identifiés sur la première page de chaque contribution).
Il serait bien entendu difficile de commenter chacun des
textes ; je me contenterai donc de mentionner mes coups de cœur. D’abord,
« Pour son œil seulement », de Joël Champetier, qui parvient à atteindre
en quelques pages une grande intensité. Sous le thème « Machines et gadgets »,
l’auteur nous propose un enlèvement oculaire, comme le laisse
présumer le titre. Un concentré efficace, au rythme trépidant !
Avec « S’adapter », Natasha Beaulieu réussit à
rendre en deux pages l’ambivalence de Soukie face au monde
post-apocalyptique toxique où elle évolue. Monde dans lequel certains individus
la fascinent, départis de leurs habits protecteurs... Une nouvelle bien menée,
qui se termine par une phrase-choc à point.
« Bercement » de Sylvie Bérard, sous la
thématique de « Mutations », est une autre de mes contributions
favorites du numéro. Nous y suivons l’établissement de la narratrice sur Anjot
688c, planète à la végétation pour le moins étrange. Une histoire énigmatique
et fascinante, portée par la belle plume de l’écrivaine.
« Mon nom est légion » de David Dorais est un
texte atypique, au ton unique. Difficile à résumer, il s’agit d’une
expérience en soi. Une nouvelle qui se démarque assurément, dans laquelle vous
ne regretterez pas de vous être immergé.
Autre coup de cœur : « Le vingt-huitième
jour » de Brian Eaglenor, pseudonyme d’Alain Bergeron. Nous suivons ici un
homme dont le corps est en train de se recouvrir d’ongles... Une belle idée,
bien décrite et bien exploitée, à faire frémir...
Une mention aussi pour « Sentence incarnée » de
Geneviève Blouin, nouvelle efficace sur la réincarnation, avec une chute qui
tombe comme un couperet.
Au programme également de ce numéro anniversaire :
« Enquête sur les classiques de science-fiction », du toujours
intéressant et érudit Mario Tessier, et l’instructif dossier Sci-néma du tout
aussi compétent Christian Sauvé.
Vous n’avez pas encore ce numéro très spécial de Solaris
? Courez vous le procurer et joignez-vous sans attendre aux festivités !
Alibis no
52, Automne 2014, Lévis, Alire, 160 p.
Alors que Solaris fête ses quarante ans, sa petite
sœur Alibis, consacrée à la littérature noire et au polar, nous propose
son cinquante-deuxième numéro. Le tout en couleur, car rappelons-le, les revues
Solaris et Alibis sont désormais imprimées en quadrichromie !
Jean Charbonneau, auteur de Tout homme rêve d’être un
gangster, ouvre le bal des fictions avec « Éducation à la
napolitaine ». Marc, le jeune narrateur, se rend seul à Naples pour
exécuter les dernières volontés de sa grand-mère.
Mais ce qu’il découvrira sur l’existence de ses cousins ne sera pas sans le
surprendre... Un récit efficace et travaillé, dans lequel la tension est
palpable. De quoi donner envie de lire les romans de Jean Charbonneau !
François Leblanc propose pour sa part « Et tout s’éteint », la
fiction la plus brève et sans doute la moins mémorable du numéro. Il s'y intéresse
aux circonstances nébuleuses entourant la mort de Jason Blueboy. On ne s’ennuie
pas dans cette histoire de boxe, mais elle manque peut-être d’intensité,
surtout placée entre deux textes particulièrement percutants.
Comme souvent lorsque Camille Bouchard collabore à Alibis,
il signe l’un des meilleurs textes du numéro, cette fois-ci avec « Pourquoi se battent
les chiens ». Bouchard poursuit sa série sur les caïds mexicains par le biais d’un crime sexuel impliquant un auteur jeunesse. Mais le
crime sent quelque peu le coup monté... Comme d’habitude, l’écrivain réussit à
rendre ses personnages poignants, à incarner leurs sentiments ainsi que les
décors sud-américains, qu’il connaît visiblement très bien. À quand un recueil
rassemblant tous les textes appartenant à cette série mexicaine ?
L’article sur Richard III de Norbert Spehner est pour sa
part instructif et particulièrement original. On en apprend aussi
davantage sur Maxime Houde dans l’entretien qu’il accorde à Pascale Raud, même
si l’on sent qu’il répond parfois aux questions du « bout des
lèvres ». Suivent l’indélogeable et bien documentée chronique cinéma de
Christian Sauvé, au ton agréablement pince-sans-rire, et de nombreuses critiques
de livres.
Bref, un numéro d’Alibis de très bonne tenue !