Philippe-Aubert Côté,
Le jeu du démiurge, Alire, 2015, 717 p.
Le
jeu du démiurge, premier roman de Philippe-Aubert Côté,
surprend d’emblée par son ampleur : 717 pages dans une police de caractères
de petite taille. L’illustration de couverture de Grégory Fromenteau, qui met
en scène un dragon mécanique survolant des milliers d’édifices, est à l’image
de l’ambition de l’auteur. Connu pour sa minutie et son perfectionnisme,
Philippe-Aubert Côté a en effet patiemment façonné son univers à travers la
trentaine de chapitres de son volumineux ouvrage.
Le
roman s’articule autour de trois personnages phares masculins et/ou
hermaphrodites : Takeo, un Mikaie qui, à l’instar de plusieurs personnes
de son peuple, est en proie à la régression, ainsi que Nemrick et
Rumack, deux amoureux éridanis, descendants d’humains, qui possèdent des
talents de démiurges. La régression, alias le
« mal de Rumack », affecte les Mikais depuis des décennies : sans
« l’étincelle » fournie par les arbres-machines, les semblables de
Takeo commencent à agir comme des singes. Takeo, jeune homme qui n’a pas froid
aux yeux, entreprend alors, avec l’aide de Nemrick, un Ludis, de contrer la malédiction. Mais plusieurs protagonistes se mettront en travers
de leur chemin, dont Sackurah, le personnage féminin le plus dense du livre. Pendant ce temps, les menaces de guerre grondent...
Roman-fleuve aux multiples péripéties, Le jeu du démiurge est l’un de ces récits
qui ne se résume pas aisément. Philippe-Aubert Côté y propose un univers
personnel, bonifié par ses connaissances en biologie et sur les
nanotechnologies. L’auteur a également pris soin de développer les rapports
filiaux et amoureux entre ses différents protagonistes, ce qui donne à l’intrigue
une bonne ampleur dramatique, même si la longueur du livre se prête moins facilement
au suspense. La trame narrative est de surcroît portée par le style précis de l’écrivain,
que l’on devine maintes fois peaufiné au fil des réécritures. En
ce sens, peut-être Philippe-Aubert Côté a-t-il voulu décomplexifier le corps de l'ouvrage en adjoignant un lexique à la fin du roman, aspect qui ne m’a pas
convaincue. En effet, le lexique, obligatoire à consulter, contient
exclusivement des termes inventés par l’auteur (il ne s’agit pas d’un lexique
historique optionnel, bienvenu dans de semblables publications), et le lecteur
doit constamment s’y référer pendant les 150 premières pages. La meilleure
méthode pour intégrer les informations regroupées dans le lexique aurait été
sans contredit de les inclure dans le texte de manière fluide, tout en évitant
l’infodump.
Cela
dit, Le jeu du démiurge est un roman à la construction intellectuelle, cérébrale, qui
force le respect, d’une belle inventivité et d’une grande qualité. Comme les
parutions d’une telle envergure en science-fiction québécoise ne courent pas
les rues, c’est une publication à souligner. Quant à moi, ça m’a donné envie de m’envoler vers
Selckin-2 !
François Lévesque, La
noirceur, Éditions Alire, 2015, 256 p.
La noirceur de François Lévesque, septième roman de
l’auteur, se présente sous l’une des couvertures les plus saisissantes jamais
parues chez Alire. En effet, la couverture, réalisée par l’écrivain lui-même,
témoigne de manière particulièrement puissante des terreurs de l’enfance. La
gueule ouverte de la créature pourrissante qui émerge des ténèbres promet le
plus sombre des romans fantastiques. C’est dire si le livre s’offre esthétiquement
sous les meilleurs augures ! De plus, nous comprenons rapidement que le thème
de la maison hantée, qui recèle un potentiel certain pour qui sait en exploiter
habilement les ficelles, sera à l’honneur.
Guillaume Kaminski et sa fille Daphnée, dont il a obtenu
la garde après son divorce, viennent en effet de déménager dans la maison dont
ils ont hérité. Le père de Guillaume, un homme secret et taciturne, est décédé
à l’intérieur de son garage dans des circonstances quelque peu nébuleuses. Mais
la mort du vieil homme n’est pas la seule à être entourée de mystères : en
fait, Guillaume a presque tout caché de son passé à sa fille unique. Daphnée
est ainsi mise devant le fait accompli après le déménagement. L’adolescente, qui
soupçonne déjà sa mère narcissique de l’avoir abandonnée, ne pourra que
laisser libre cours à sa colère. En plus, la maison est située à Sorel, à des
kilomètres et des kilomètres de la demeure de Sophie, sa meilleure amie. Toutefois,
Guillaume et sa fille sont loin d’être isolés dans cette vieille habitation, qui
est visiblement l'hôte de forces occultes. Forces occultes dont ils ne
tarderont pas à constater la malveillance...
Comme vous l’aurez compris dans le résumé qui précède, le
fantastique déployé dans La noirceur est très classique, calqué sur le
cinéma d’épouvante des dernières années (on croirait lire un scénario
de film d’horreur réécrit pour en faire un roman). Le récit
suit un cours prévisible qui surprend peu, sauf peut-être la finale, qui aurait
gagné à être davantage préparée. Car, ce qui est mis de l’avant ici, c’est
avant tout la relation père-fille entre Daphnée et Guillaume, ainsi que le
langage coloré des adolescentes (qui occupe de nombreuses pages). La
frayeur promise par la couverture est donc reléguée à l’arrière-plan, le livre ne
parvenant pas à nous effrayer tel qu’escompté, par exemple dans cette scène :
« à l’intérieur du placard [...] l’une des boîtes de jeu ressortit
soudain, comme si une main invisible l’avait tiré. Il s’agissait de la boîte de
la planche de Ouija » (p.35).
Rappelons que le fantastique repose en grande partie sur
ses ambiances et que la précision et le pouvoir d’évocation du vocabulaire sont
essentiels à ce genre difficile. Et bien que l’écriture de François Lévesque
soit plus aboutie dans La noirceur que dans Une maison de fumée,
son roman précédent, elle ne réussit pas à recréer cette tension, cette atmosphère
de vertige que recherche le lecteur de fantastique (alors que, par contre, les
passages dialogués et ceux sur les relations familiales sont maîtrisés). La
noirceur est donc un récit qui fait réfléchir sur les mécanismes du genre. Je le recommanderai aux lecteurs en quête d'une
frousse qui ne les empêchera pas de dormir !