Virages no 61, automne 2012, 101
p.
Une
parution sur deux, la revue Virages propose un numéro thématique,
qu’elle confie à un anthologiste. Pour cette livraison d’automne, la direction
a fait appel à Suzanne Myre, auteure du roman Dans sa bulle et de cinq
recueils de nouvelles remarqués, pour piloter ce spécial au sujet des plus
alléchants : l’horreur. Je tiens donc à souligner, pour commencer, cette
audacieuse initiative de Virages, revue généraliste qui publie
majoritairement de la littérature « blanche », à l’instar de XYZ et de Moebius. En espérant d’autres incursions à venir dans la
littérature de genre!
La
couverture de ce numéro, de Michèle Laframboise, écrivaine et bédéiste que les lecteurs de Brins d'éternité connaissent bien, est de surcroît fort réussie, avec son arbre
inquiétant et squelettique, dont les branches s’inclinent vers un marécage aux
eaux noirâtres. Le ton est ainsi donné pour cet opus horrifique, qui s’attarde
à la fois sur l’horreur physique et existentielle, comme le souligne Suzanne Myre
dans son prologue.
Cinq
nouvelles se démarquent dans ce numéro, qui compte en tout douze textes sur le
thème et quatre dans la section « Pour les jeunes » (cette section rassemble
des histoires écrites par des étudiants du secondaire). Il y a d’abord « Kitty
Storm : retour au Triangle des Bermudes » de Laurence Gough, auteure
du roman En région arctique et ailleurs (Marchand de feuilles, 2011). L’écrivaine
met l’humour de l’avant, en nous présentant un feuilleton d’aventures délirant,
au cours duquel Kitty, à la recherche de son amoureux Gordon, perdu dans la
jungle, affrontera diverses créatures avant de se retrouver parmi les
cannibales. Il en résulte un texte amusant, dans lequel l’horreur est tournée
en dérision, mais qui ne manque pas de piquant, porté par un style précis et
comique.
« Quand
revivra le théâtre inerte » de Frédérick Durand est aussi à retenir, avec
son ambiance inquiétante et poétique. Mystérieuse et énigmatique, cette
nouvelle nous présente William, un petit garçon putrescent. Ce dernier
s’introduit dans un théâtre abandonné, où se déroulaient des pièces sanglantes.
Le style est ici particulièrement ciselé, le texte, qui laisse travailler
l’imagination du lecteur (sur l’identité du « fou volant », pour ne
donner que cet exemple) n’étant pas sans rappeler certains écrits de l’auteur,
tels que La nuit soupire quand elle s’arrête ou « L'Heure approche
où j'aurai tes yeux », nouvelle parue dans le « spécial
cauchemar » de la revue Solaris.
« Le
piège » de Cyril Deydier est également un récit intrigant, bien qu’il se
fonde sur une prémisse classique : une demi-douzaine de participants se
retrouvent coincés dans un jeu virtuel et doivent s’entre-tuer jusqu’au dernier
survivant. Nous suivons ainsi Akina, la narratrice, dans le MANOIR où elle est
prisonnière en compagnie de cinq autres filles déguisées en costumes
« asiatiques », dont une samouraï et une prêtresse bouddhiste.
L’action est bien menée, entrecoupée de scènes d’homicides généralement
crédibles, même si l’auteur tombe parfois dans le travers du
« telling » (dire plutôt que raconter).
Le
court texte « Un bon petit diable », de Suzanne Myre, est aussi l’une
des belles surprises de ce numéro. Ici, l’horreur est plus
« cynique », portée par le délicieux humour noir auquel l’écrivaine
nous a habitués. Nous suivons Ève, qui fera la connaissance d’un homme
inquiétant, leur rencontre ayant des conséquences inattendues. Fluide et
grinçante, cette nouvelle se lit avec plaisir, nous offrant des passages comme
celui-ci, lorsque la future mère envisage l’avortement : « Alors,
elle le fera elle-même, elle déboulera les escaliers, se jettera sous les roues
d’un autobus, s’empoisonnera au PFK, n’importe quoi » (p. 59).
Camille
Deslauriers, avec « La pouponnière », signe pour sa part un texte
étrange, non dépourvu de parentés avec L’homme-Jasmin d’Unica Zürn,
compagne d’Hans Bellmer qui fut internée une partie de sa vie. Cette
comparaison n’est pas fortuite, puisque l’horreur revêt ici un caractère
psychiatrique (et pédiatrique). La narratrice nous raconte en effet l’existence
de ses « enfants » morts-nés, résidents d’une maison abandonnée.
Véritables petits monstres, ces nouveau-nés sont minutieusement décrits,
tels cet enfant à huit pattes et ces quadruplés agglomérés les uns aux autres,
de la taille de pois chiches. « La pouponnière », histoire assurément
bizarre, est sans contredit l’un de mes coups de cœur du numéro.
Les
autres nouvelles, bien que moins mémorables, valent aussi le détour, même s’il
est possible de regretter que l’horreur y soit plus timide. En fait, l’ensemble
du numéro est d’une horreur « modérée », la plupart du temps
psychologique, loin du gore auquel La maison des viscères nous a
habitués. Mais la parution de ce numéro de Virages est à
retenir, le périodique offrant un hommage honnête à un genre littéraire souvent
mal-aimé. Intéressés? Vous pouvez commander le « spécial horreur »
sur le site de la revue, à cette adresse : revuevirages.com.
(Critique précédemment publiée dans le numéro 34 de la revue Brins d'éternité)
Bonjour Arianne!
RépondreSupprimerJe ne trouve cette revue nulle part...:(
As-tu une idée de l'endroit où je pourrais me la procurer?
C'est sans doute parce qu'il s'agit du numéro d'automne 2012 et que le 64 (été 2013) vient tout juste de sortir ;)
RépondreSupprimerPour se la procurer, il y a bien sûr l'option d'écrire directement à Virages (direction@revuevirages.com) ou encore de s'adresser à l'éditeur, Les éditions de l'interligne, (http://www.interligne.ca/index.cfm?Voir=sections&Id=12223&M=3256&Repertoire_No=2137990675) ou au distributeur, Prologue (http://www.prologue.ca/ou-trouver-les-livres.html). Tiens-moi au courant !