Mélanie
Fazi, Le jardin des silences, Bragelonne, 2014, 250 p.
Avant mai dernier, j’avais seulement eu l’occasion de lire
quelques nouvelles éparses de Mélanie Fazi, dispersées dans diverses
anthologies. Jusqu’à ce que je décide d’acquérir son premier recueil, Serpentine,
paru en 2006 aux regrettées éditions de l’Oxymore. Envoûtée, je me suis ensuite
procuré Notre-Dame-aux-Écailles, le second recueil de textes brefs de
l’écrivaine française, puis, il y a quelques semaines, Le jardin des silences.
Le charme a opéré de manière croissante, culminant avec Le jardin des
silences. En effet, Mélanie Fazi pratique un fantastique essentiellement
psychologique aux accents oniriques de l’enfance, porté par une plume précise
et poétique (mais jamais surchargée).
La nouvelle en ouverture du recueil, « Swan le bien
nommé », donne le ton, émaillée de phrases que l’on se surprend à lire à
voix haute, étant donné leur musicalité (thème d’ailleurs cher à Fazi). Deux
exemples parmi tant d’autres : « Un rayon de lune haché par les lames
du store striait la moquette » (p. 14) ou encore « Son œil
étrange où gris et bleu se mêlaient comme les couleurs d’un œuf sur le plat
dont on crève la surface. Je n’ai jamais réussi, depuis l’enfance, à déterminer
laquelle des couleurs fuyait l’autre » (p. 15).
En fait, ce qui m’a saisie en refermant Le jardin des
silences, c’est l’ordonnancement des textes, qui participe presque toujours
avec justesse à l’ensemble (seule note un peu discordante, « Dragon
caché », unique récit écrit à la troisième personne du singulier, ce qui m’a
donné l’impression que Mélanie Fazi est moins à l’aise lorsqu’elle expérimente
ce type de narration parfois moins intime). Et même si quelques-unes des
histoires sont parues il y a quelques années ‒ l’une d’elles remonte à 2005 ‒,
pratiquement aucune nouvelle ne détonne dans cette sélection que l’on devine
savamment, patiemment assemblée. C’est pourquoi Le jardin des silences gagne
à être considéré dans son intégralité, en s’attardant sur tous ses motifs en
miroir (La solitude, Noël, la grossesse, la route, la quête inaccessible de
l’autre, l’amitié/rivalité féminine, les renards, les plantes, pour ne nommer
que ceux-là) qui tissent des liens à l’intérieur du recueil à la façon d’une
toile d’araignée aussi complexe que délicate (arantèle enjolivée par les
prénoms des personnages, que l’on sent choisis avec le soin, l’amour que
prodigue un artiste véritable à ses créations).
Certes, quelques récits m’ont plu davantage : le
foudroyant « L’autre route », avec sa déchirante relation père-fille
et son engrenage temporel, sable qui recouvre de temps à autre les univers
parallèles, « Les sœurs de la Tarasque », à la finale glaçante comme
les meilleures nouvelles de Lisa Tuttle ‒ Fazi est justement sa traductrice en français
‒ et « L’été dans la vallée », une histoire de voix offerte tel un
héritage ancestral. Et même si les deux récits de Noël, « L’arbre et les
corneilles » et « Un bal d’hiver », m’ont semblé un tantinet
plus mièvres, ils participent sans contredit à l’ensemble, contribuant à
enrichir cette fresque kaléidoscopique des possibles humains que déploie
Mélanie Fazi dans ce livre.
C’est visiblement en puisant dans les rêves et les travers
humains que l’écrivaine façonne ses univers, avec la fantaisie et la patience
du givre. Et, comme la matière figée renaît au printemps, j’attendrai le prochain
recueil de Mélanie Fazi, consciente que l’orfèvrerie exige du temps. Mais
qu’elle produit parfois ‒ dans le silence des jardins secrets ‒ des merveilles.
- Cette critique est parue précédemment dans le numéro 43 de Brins d'éternité.
J'ai l'impression que tu parles de ton écriture que tu fais allusion à la musicalité de Mélanie Fazi. Encore une petite sorcière à découvrir ?
RépondreSupprimerExcellente lecture en cours... Très belle découverte. Merci pour ton article qui m'a guidée vers ce choix de lecture. Christine
RépondreSupprimerJe viens tout juste de voir ton premier commentaire, désolée du délai de réponse Christine, pour une raison insolite, je n'avais pas reçu de notification !
SupprimerC'est certain que la musicalité de l'écriture de Mélanie Fazi m'interpelle beaucoup... Et je suis d'autant plus heureuse que tu aimes ta lecture du "Jardin des silences". C'est simple : Mélanie Fazi est une auteure à découvrir absolument :)