lundi 7 mars 2016

Lectures : Le jardin des silences


Mélanie Fazi, Le jardin des silences, Bragelonne, 2014, 250 p.

Avant mai dernier, j’avais seulement eu l’occasion de lire quelques nouvelles éparses de Mélanie Fazi, dispersées dans diverses anthologies. Jusqu’à ce que je décide d’acquérir son premier recueil, Serpentine, paru en 2006 aux regrettées éditions de l’Oxymore. Envoûtée, je me suis ensuite procuré Notre-Dame-aux-Écailles, le second recueil de textes brefs de l’écrivaine française, puis, il y a quelques semaines, Le jardin des silences. Le charme a opéré de manière croissante, culminant avec Le jardin des silences. En effet, Mélanie Fazi pratique un fantastique essentiellement psychologique aux accents oniriques de l’enfance, porté par une plume précise et poétique (mais jamais surchargée).

La nouvelle en ouverture du recueil, « Swan le bien nommé », donne le ton, émaillée de phrases que l’on se surprend à lire à voix haute, étant donné leur musicalité (thème d’ailleurs cher à Fazi). Deux exemples parmi tant d’autres : « Un rayon de lune haché par les lames du store striait la moquette » (p. 14) ou encore « Son œil étrange où gris et bleu se mêlaient comme les couleurs d’un œuf sur le plat dont on crève la surface. Je n’ai jamais réussi, depuis l’enfance, à déterminer laquelle des couleurs fuyait l’autre » (p. 15).

En fait, ce qui m’a saisie en refermant Le jardin des silences, c’est l’ordonnancement des textes, qui participe presque toujours avec justesse à l’ensemble (seule note un peu discordante, « Dragon caché », unique récit écrit à la troisième personne du singulier, ce qui m’a donné l’impression que Mélanie Fazi est moins à l’aise lorsqu’elle expérimente ce type de narration parfois moins intime). Et même si quelques-unes des histoires sont parues il y a quelques années ‒ l’une d’elles remonte à 2005 ‒, pratiquement aucune nouvelle ne détonne dans cette sélection que l’on devine savamment, patiemment assemblée. C’est pourquoi Le jardin des silences gagne à être considéré dans son intégralité, en s’attardant sur tous ses motifs en miroir (La solitude, Noël, la grossesse, la route, la quête inaccessible de l’autre, l’amitié/rivalité féminine, les renards, les plantes, pour ne nommer que ceux-là) qui tissent des liens à l’intérieur du recueil à la façon d’une toile d’araignée aussi complexe que délicate (arantèle enjolivée par les prénoms des personnages, que l’on sent choisis avec le soin, l’amour que prodigue un artiste véritable à ses créations).

Certes, quelques récits m’ont plu davantage : le foudroyant « L’autre route », avec sa déchirante relation père-fille et son engrenage temporel, sable qui recouvre de temps à autre les univers parallèles, « Les sœurs de la Tarasque », à la finale glaçante comme les meilleures nouvelles de Lisa Tuttle ‒ Fazi est justement sa traductrice en français ‒ et « L’été dans la vallée », une histoire de voix offerte tel un héritage ancestral. Et même si les deux récits de Noël, « L’arbre et les corneilles » et « Un bal d’hiver », m’ont semblé un tantinet plus mièvres, ils participent sans contredit à l’ensemble, contribuant à enrichir cette fresque kaléidoscopique des possibles humains que déploie Mélanie Fazi dans ce livre.

C’est visiblement en puisant dans les rêves et les travers humains que l’écrivaine façonne ses univers, avec la fantaisie et la patience du givre. Et, comme la matière figée renaît au printemps, j’attendrai le prochain recueil de Mélanie Fazi, consciente que l’orfèvrerie exige du temps. Mais qu’elle produit parfois ‒ dans le silence des jardins secrets ‒ des merveilles.

- Cette critique est parue précédemment dans le numéro 43 de Brins d'éternité.
 

3 commentaires:

  1. J'ai l'impression que tu parles de ton écriture que tu fais allusion à la musicalité de Mélanie Fazi. Encore une petite sorcière à découvrir ?

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  2. Excellente lecture en cours... Très belle découverte. Merci pour ton article qui m'a guidée vers ce choix de lecture. Christine

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    1. Je viens tout juste de voir ton premier commentaire, désolée du délai de réponse Christine, pour une raison insolite, je n'avais pas reçu de notification !
      C'est certain que la musicalité de l'écriture de Mélanie Fazi m'interpelle beaucoup... Et je suis d'autant plus heureuse que tu aimes ta lecture du "Jardin des silences". C'est simple : Mélanie Fazi est une auteure à découvrir absolument :)

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