mardi 7 octobre 2014

Le Voyage insolite (émission du 6 octobre)


Richard Ste-Marie, Repentir(s), Alire, 2014, 336 p.

Repentir(s) est le troisième roman de Richard Ste-Marie à paraître aux éditions Alire (et le premier en grand format). Je précise toutefois que le second de ses livres publié chez Alire était une réécriture de son tout premier ouvrage, Un ménage rouge, édité dans un premier temps chez Stanké. C’est en outre la troisième fois que j’ai l’occasion de m’intéresser à une publication de Ste-Marie dans le contexte de l'émission, puisqu'il est un auteur que j’apprécie particulièrement (et que j’ai eu l’honneur de côtoyer dans le collectif Crimes à la librairie).

C’est donc avec enthousiasme que je me suis plongée dans Repentir(s), intitulé à l’origine L’esprit des lieux (titre qui ne convenait pas vraiment au roman, d’ailleurs). Nous y retrouvons Francis Pagliaro, sergent-enquêteur présent dans les deux précédents livres de Ste-Marie. Pagliaro est en quelque sorte le « demi-héros » du récit, car environ un chapitre sur deux suit le parcours d'un criminel, lié d’une manière ou d’une autre à l’homicide sur lequel Pagliaro enquête. Il ne s’agit pas de n’importe quel crime : Gaston « Faby » Lessard, propriétaire de la galerie Arts Visuels Actuels, a trouvé la mort sur son lieu de travail, en compagnie du lieutenant de police Frédéric Fortier. Tous deux ont été poignardés à l'aide d'un couteau sculpté, exposé dans la galerie, qui a été étrangement remis en place après usage.

Pagliaro entreprend dès lors de s’initier au milieu des arts visuels, allant de découverte en découverte à propos des activités de Faby Lessard. En parallèle, le criminel, surnommé « le garçon », et son ami Samuel s’intéressent de plus en plus près aux natures mortes. Ce qui finira par avoir de fâcheuses conséquences dans la petite communauté de Lac-Frontière...

Avec Repentir(s), Richard Ste-Marie nous propose encore une fois un polar/roman noir au suspense soutenu, même si les chapitres criminels m’ont paru plus frappants que les autres. Il faut dire que l’auteur dépeint le sordide avec tant de finesse que l’enquête avait des chances de sembler plus falote en comparaison. De plus, nous retrouvons moins les traits de caractère de Pagliaro qui m’avaient tant plu dans L’Inaveu : ses réflexions teintées de philosophie, son amour inconditionnel pour Lisa, qu’il aime toujours autant, mais qui est en retrait dans ce livre...

Là n’est pas l’intérêt principal de Repentir(s), à mon avis, mais plutôt dans l’intégration des connaissances du milieu des arts visuels (que Ste-Marie connaît de l’intérieur, étant lui-même un artiste visuel) qui font de ce récit un polar/roman noir pictural unique en son genre. Roman qui atteint des sommets quand Ste-Marie prend le partie de dépeindre la psyché des criminels. Un auteur à suivre de près !



Claude Champagne, Écrire le mal, Éditions Druide, 2014, 268 p.

Avant d’écrire un roman pour adultes, Claude Champagne a signé plusieurs pièces de théâtre et livres pour la jeunesse. Écrire le mal, qui vient de paraître aux éditions Druide, est donc son premier roman destiné à ce lectorat. L’ouvrage se présente sous une couverture blanche avec un titre stylisé qui m’a rappelé la collection « L'imaginaire » de Gallimard. Toutefois, il ne faut pas se méprendre : le livre de Claude Champagne n’a pas de parenté, autre que visuelle, avec la célèbre collection.

Écrire le mal est sans contredit un roman hybride, à mi-chemin entre le polar et l’autofiction, bien qu’il tende davantage vers le dernier genre, les fervents de polar plus classique risquant de ne pas y trouver leur compte. Mais voyons d’abord ce que l’histoire nous réserve. L'écrivain Jean Royer hérite de l’agence de détectives de son père, qui vient de décéder (il s'agit là d'éléments autobiographiques). Au départ déterminé à revendre son héritage, Jean se lance bientôt dans une enquête, qui prend pour point de départ des animaux retrouvés cloué aux arbres d’un parc. En remontant le fil de l’enquête, Jean interroge le propriétaire d’un chenil. Ce dernier lui mentionne l’existence d’un ancien employé qui aurait torturé un chien. Comble de chance, l’ex-travailleur avait justement caché son journal intime dans sa chambre (sous son matelas), et Jean pourra en apprendre davantage sur ses cruelles motivations (ce qui rejoint l’idée du « mal » dans le titre). Des extraits de son journal ponctuent dès lors le roman, lui-même raconté par l’entremise du journal de Jean. De temps à autre, les carnets d’enquête de son père, qui recherche la fille disparue de son fils, s’intercalent entre les différentes parties. Car ce qui obsède réellement Jean, ce ne sont pas tant les animaux torturés ni les cadavres qui jonchent son chemin, mais la disparition, survenue voilà six ans, de Charlotte, sa fille...

Les moments les plus poignants d’Écrire le mal concernent la quête de cette fille absente, qui prend sa source directement dans le vécu de l’auteur. Claude Champagne puise abondamment dans l’autofiction, genre avec lequel je confesse avoir peu d’affinités. Ajoutons à ceci le fait que le personnage principal est lui-même un écrivain (très semblable à l’auteur de ce livre, justement), et l’exercice peut devenir périlleux, particulièrement à notre époque, étant donné la pléthore de récits déjà existants dont les narrateurs sont des écrivains en quête d’inspiration. Cela dit, la force de cet ouvrage prend sa source dans l’enchâssement des différents journaux (le journal du criminel, surtout, s'avère captivant). L’histoire est aussi intrigante et apte à piquer la curiosité. Il reste tout de même que j’ai senti une improvisation dans la trame narrative, improvisation que le romancier ne cache d’ailleurs pas dans sa notice biographique. Et comme nous avons affaire à un polar, genre qui se prête plus ou moins bien aux élans impromptus...

Roman métissé, Écrire le mal devrait plaire aux amateurs de récits qui combinent suspense et autofiction. Je profite en terminant de l'occasion pour saluer l'initiative des éditions Druide de publier, depuis leur fondation en 2012, des polars de qualité.
  

2 commentaires:

  1. Bonjour Ariane,

    Merci de votre critique. Venant d’une auteure, c’est toujours apprécié.

    Je voulais toutefois en profiter pour corriger certains faits que vous avancez.

    Non, mon roman n’est pas de l’autofiction. On peut très bien s’inspirer de passages de notre vie sans que le récit leur soit fidèle. C’est le jeu de l’écriture, justement.

    Ensuite, le choix du nom de Jean Royer relève du hasard, quoi que vous ayez pu lire dans Le Devoir.

    Enfin, vous semblez laisser sous-entendre que la trame de mon roman souffre d’improvisation, puisque j’ai révélé que je n’ai pas écrit de plan comme tel au préalable. Or, je vous rassure, quand on prépare l’écriture d’un roman depuis 4 ans, je ne pense qu’on puisse parler d’improvisation. Mais ça, vous ne pouviez le deviner, car ce n’est écrit nulle part. Maintenant ce l’est. :-) Et même quand l’auteur écrit un plan, il arrive très souvent qu’il dévie de sa route en cours d’écriture. Certains appellent ça l’inspiration.

    Ceci dit, c'est dommage que d'entrée de jeu vous paraissiez avoir eu un préjugé défavorable, en considérant mon roman comme de l'autofiction, genre que vous dites ne pas apprécier (même si vous en avez parfaitement le droit et l’honnêteté de le dire.) Mais à mon avis, un roman est un roman, et un lecteur, un lecteur.

    Respectueusement,


    Claude Champagne

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  2. Bonjour M. Champagne,

    Merci d'avoir pris le temps de commenter ici !

    D'emblée, contrairement à ce que vous affirmez, je précise que j'avais un "préjugé" favorable et non défavorable à l'égard de votre livre, dont j'avais lu des éloges sur le blogue de Richard Migneault, que je suis assidument (et avec qui je suis presque toujours en accord).

    En ce qui concerne l'improvisation, je me suis basée sur ce qui est écrit dans votre biographie, à la dernière page du roman, soit "sans plan, pour une rare fois". Pour ma part, j'ai notamment senti une part d'improvisation dans l'évolution de la manière d'agir de Fernand et de Roger au fur et à mesure du livre.

    Je n'avais pas lu le commentaire au sujet du nom de Jean Royer dans le Devoir ; désolée d'avoir fait le même rapprochement qui ne s'avère pas véridique. Je vais donc supprimer cette parenthèse.

    Et je n'ai pas affirmé qu'il ne s'agissait "que" d'autofiction, mais d'une histoire qui métisse polar et autofiction (je reviens d'ailleurs à quelques reprises sur ce point dans mon commentaire de lecture). Bien entendu, je sais que vous n'avez pas trouvé des animaux morts cloués aux arbres d'un parc ;-)

    Cela dit, mon commentaire de lecture étant favorable au roman, avec quelques bémols, je m'avoue surprise qu'il suscite une réaction aussi vive...

    Bonne journée à vous !

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